LE MONDE | 05.10.2013 à 10h31 •
"Quand le médecin dit 'C'est 50 euros',
le patient est paumé.
Il paye, mais le risque, c'est qu'il renonce par la suite à
poursuivre ses soins."
Imposer des dépassements d'honoraires aux plus pauvres : la pratique, illégale, est marginale, mais bien réelle. Pour la première fois, l'Assurance-maladie a fouillé ses bases de données et détecté 733 médecins qui bafouent la règle. Parmi eux, des pédiatres, généralistes, gynécologues... La moitié exerce en Ile-de-France. Jusqu'ici, les seules informations provenaient de rares signalements de patients. Pas de quoi avoir une idée claire du problème.
En France, il est interdit de facturer des compléments d'honoraires aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) – des personnes qui gagnent moins de 716 euros par mois et dont les frais de santé sont pris en charge à 100 % (sauf les dépassements, évidemment).
Certains praticiens en honoraires libres (secteur 2), pourtant, leur en imposent. Comme ce médecin installé dans le Sud, représentatif de ceux repérés par la Caisse nationale de l'Assurance-maladie (CNAM). En 2012, sa clientèle comptait 91 patients bénéficiaires de la CMU-C, qui ne devaient donc rien débourser. Or 30 % se sont vufacturer des dépassements, en moyenne de 41 euros.
D'autres sont plus excessifs, tel ce praticien du Centre-Est, adepte des dépassements systématiques et élevés. Parmi ses 39 patients sous CMU-C, 82 % ont versé un supplément, de 46 euros en moyenne.
UNE INTERDITION FIXÉE EN 2000
Certains médecins estiment sans doute que les consulter vaut cher ; que le patient soit riche ou pauvre n'est pas la question. D'autres n'ont peut-être pas fait attention, ou diront ne pas connaître l'interdiction... fixée en 2000. Pourtant, un médecin doit fixer ses tarifs avec "tact et mesure", indique le code de déontologie, donc les adapter à chaque patient. Or la CMU-C est inscrite sur la carte Vitale.
Pour éviter des frais à ses patients précaires, Mady Denantes, généraliste dans le quartier de Belleville, à Paris, les oriente vers des spécialistes en secteur 1 (tarif Sécurité sociale). Mais il arrive qu'ils aillent spontanément consulter un spécialiste et que par malchance celui-ci pratique des honoraires libres, comme cette femme à laquelle un ORL du 8e arrondissement a demandé 100 euros récemment. " Ils n'arrivent pas à dire non, alors ils payent. Souvent, ils ne le racontent même pas, car c'est humiliant, dit-elle. Si le conseil de l'ordre s'était vraiment attaqué aux problèmes des patients à la CMU-C, la question serait réglée", note ce membre du Collectif de médecins généralistes pour l'accès aux soins.
L'ordre se montrera-t-il plus sévère maintenant qu'il a à sa tête un généraliste (en secteur 1 et installé en Seine-Saint-Denis) ? "Dès lors qu'une personne bénéficie de la CMU-C, le médecin se doit de respecter la règle. Il n'y a pas de négociation déontologique sur ce fait, tranche ce nouveau président, Patrick Bouet. Il y a des problèmes, nous n'allons pas le nier", poursuit-il, promettant d'être vigilant. Mais il rappelle que les médecins qui abusent sont rares – il y a 30 000 médecins en secteur 2 –, comme le sont les signalements. C'est là tout le problème, selon lui : l'ordre n'est pas saisi. Il peut l'être, comme l'Assurance-maladie, mais qui connaît la loi, et qui ose lefaire ?
"Il faut bien sûr sanctionner ceux qui trichent, mais ils doivent être très rares, car l'erreur peut aussi venir d'un oubli de carte Vitale", réagit Philippe Cuq, chirurgien et coprésident du syndicat Le Bloc, qui s'offusque de voir les médecins encore stigmatisés.
AVERTISSEMENT ADRESSÉ À 200 PROFESSIONNELS
Aline Archimbaud, sénatrice écologiste, ne voit pas les choses ainsi. Elle vient demener une mission sur l'accès aux soins des plus démunis, et des abus lui ont souvent été rapportés. "Quand le médecin dit 'C'est 50 euros', le patient est paumé. Il paye, mais le risque, c'est qu'il renonce par la suite à poursuivre ses soins." Dans son rapport, remis le 24 septembre à Jean-Marc Ayrault, elle réclame que la loi soit appliquée, donc les médecins sanctionnés.
Au CISS, collectif d'associations de patients, on s'étonne que l'Assurance-maladie n'ait pas agi plus tôt. Les choses sont en train de changer, grâce à l'accord sur les dépassements d'honoraires de fin 2012. Un des volets a créé une procédure contre les pratiques "excessives" : les montants abusifs, mais aussi les dépassements appliqués aux bénéficiaires de la CMU-C ou à ceux qui ont une aide à la complémentaire-santé (accessible si l'on gagne moins de 966 euros par mois).
Jusque-là, les rares situations examinées concernaient des problèmes rencontrés par des patients, individuellement. Après conciliation, le médecin remboursait souvent, et le dossier était clos. Désormais, c'est la pratique du médecin dans sa globalité qui est analysée. En mars, un courrier rappelant les règles a été envoyé à tous les médecins. Depuis, les quelque 750 professionnels repérés sont surveillés. Si leurs habitudes ne changent pas, l'Assurance-maladie interviendra. Un avertissement a déjà été adressé à près de 200 d'entre eux, une procédure de sanction pourrait suivre.
Les médecins concernés devraient rentrer dans le rang. Mais le risque existe que certains n'acceptent plus les bénéficiaires de la CMU-C. Une pratique bien réelle et tout autant interdite.
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