Manifeste du collectif de défense de l'hôpital public
de Fontainebleau et de sa région.
Un projet prévoit la construction d’une plateforme hospitalière publique-privée pour 2015 sur le site du Bréau pour remplacer l’hôpital et la clinique de Fontainebleau. Ce projet affaiblira l’hôpital et sa mission de service public.
1 Rappel des trois grands principes d'un service public.
1.1 Un service public doit garantir son accessibilité à l’ensemble de la population.
A l’époque que nous vivons, cette simple idée est subversive, car l’évolution récente des services publics se traduit presque systématiquement par une réduction de l’offre. Les bureaux de poste disparaissent par centaines en milieu rural. Le regroupement des tribunaux suivant la nouvelle carte judiciaire raréfie l’offre de justice. De nombreuses lignes de chemin de fer ont été abandonnées. Dans de nombreux départements, il devient difficile de se faire soigner à une distance raisonnable de son domicile. Le service public du logement dans le canton de Fontainebleau a été supprimé au profit du privé spéculatif. Etc.
1.2 Un service public est socialisé.
Il opère une redistribution des richesses selon des critères politiques définis démocratiquement. Par conséquent, aucun service privé ne peut prétendre pouvoir s'y substituer, contrairement à ce que prétendent les partisans des privatisations.
Selon ce principe (quelques exemples) :
- un couple sans enfants paie des impôts qui alimentent le service de l’Éducation Nationale. Il finance donc l’éducation des enfants des autres ;
- une personne en bonne santé paie des cotisations sociales qui alimentent le service hospitalier de sa région. Il finance donc la santé des malades ;
- le prix unique du KW/h assuré par le service public de l’énergie est une mutualisation des coûts. Les personnes installées près d’une centrale électrique paient pour celles qui habitent dans un petit village isolé dans la montagne ;
- le prix unique du timbre répond à cette même logique (etc.).
Cette redistribution de richesses est à la base de l’idée républicaine de l’égalité en droit. Elle est incompatible avec l’option néolibérale axée sur la marchandisation et la concurrence.
1.3 Un service public offre à ses employés un statut qui les protège.
Dans l’esprit du Comité National de la Résistance (1944) en effet, la puissance publique devait être exemplaire en tant qu’employeur. Elle garantissait donc à son personnel un statut et une grille indiciaire qui étaient encore récemment attractifs pour les classes moyennes et populaires qui y voyaient un mode simple et sécurisé d’ascension sociale. Ce statut mettait le personnel à l’abri des pressions exercées par les lois du marché dans l’exercice de leur spécialité (notamment la précarité liée au marché de l’emploi).
2 Le projet actuel affaiblit ces trois principes. Il s'inscrit dans le cadre des offensives libérales sur la santé.
Plusieurs décennies de politique de santé publique orientées vers la libéralisation ont grandement affaibli les services publics et notamment le service hospitalier. L'actuel projet du Bréau s'inscrit dans cette logique en l'aggravant.
2.1 Ses buts
La volonté de la classe dirigeante d’investir le marché lucratif de la santé n’est qu’une facette d’un processus plus vaste qui concerne l’ensemble des services publics. Il est donc important que les citoyens attachés à l’idée républicaine s'en saisissent.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sous l'impulsion du Comité National de la Résistance, la France a fait le choix d'extraire la santé de la sphère marchande en développant le principe de la santé pour tous (sécurité sociale, service public hospitalier etc.). Ce secteur représente un poids économique d'environ 150 milliards d'euros. Cette manne attire depuis toujours la convoitise des marchés financiers. Ils agissent pour capter cette richesse dont le rôle est pourtant d'assurer la solidarité dans notre société. L'affaiblissement du rôle de la sécurité sociale ces dernières années permet aux banques de vendre massivement des produits financiers tels que les « complémentaires-santé », produits autrefois marginaux. Ils agissent de la même façon dans tous les secteurs échappant encore à la loi du marché. Dans le secteur des retraites par exemple, l'affaiblissement du système par répartition (par les réformes de 2003 et 2010) et la baisse des pensions qui va en découler, leur ouvre la perspective de mettre la main sur 180 milliards d'euros avec le développement des fonds de pension et des « complémentaires ». La conséquence de l’avancée de cette libéralisation est la perte de protection sociale pour une part croissante de la population par le délitement du principe de solidarité.
Dans cette opération de spoliation du bien commun, les marchés financiers ont besoin de l'appui de la puissance publique pour deux raisons : il faut qu’elle légifère en leur faveur et qu’elle leur vienne en aide en cas de crise ou de banqueroute (comme on l'a vu lors de la crise financière de 2008).
Ainsi, sur le plan strictement financier, malgré l’affaiblissement qu’a connu l’ensemble du système hospitalier français ces dernières années, les comptes de l’hôpital de Fontainebleau sont à l’équilibre. L'état financier de la clinique étant opaque, il est à craindre que le projet du Bréau ne serve également de bouée de survie à cette structure sur le dos des contribuables.
Au final, il apparaît que le projet de fusion entre la clinique et l'hôpital de Fontainebleau s’inscrit dans la logique de libéralisation des services publics et est rendu possible par elle. Il profitera à la partie privée et affaiblira la partie publique.
2.2 Ses méthodes.
2.2.1 Créer du déficit public en plafonnant les recettes.
La « tarification à l'acte (T2A) mise en place depuis 2007 oblige l'hôpital à faire des bénéfices comme une clinique. Mais l’hôpital public a des missions que n'a pas une clinique privée : obligation d'accueil sans aucune discrimination, permanence des soins, formation des personnels (etc.). Cette gestion entraîne inéluctablement des déficits dans les hôpitaux qui, pour revenir à l'équilibre doivent abandonner des services au secteur privé. De plus, les autorités de tutelle revoient régulièrement à la baisse la valeur de chaque acte, ce qui condamne les établissements publics à être toujours en déficit, même lorsqu'ils augmentent leur activité. Ne pouvant atteindre les objectifs de rentabilité fixés, les hôpitaux voient fatalement diminuer leur financement, ce qui entraîne une baisse de l’efficacité et de la qualité de leurs services. Et ainsi de suite...
2.2.2 Créer une concurrence faussée entre public et privé.
« Fusion » et « mutualisation » sont deux stratégies visant à mettre en concurrence l'hôpital public et le secteur privé au bénéfice évident du secteur privé.
Dans les projets de « fusion » publics-privés, les activités les plus rentables sont très majoritairement réservées à la partie privée, la partie publique héritant des autres. Cela se vérifie dans le projet du Bréau : l'ophtalmologie, la chirurgie et l'ORL seront réservés à la clinique, la maternité, la médecine interne, la cancérologie et l'obstétrie seront dans la partie hôpital. Les citoyens devront financer le déficit de la sécurité sociale aggravé par cette organisation. Cette facture viendra s'ajouter à celle que les patients (qui le peuvent) paient déjà aux spécialistes qui à 56% pratiquent les dépassements d'honoraires dans notre département en milieu libéral.
La « mutualisation » des outils, des espaces et des services est une autre façon de créer cette concurrence. Elle s'appuie juridiquement sur la création des Groupements de Coopération Sanitaire (GCS), institutions qui se sont vu confier toutes les possibilités d'une gestion à caractère privée, y compris des services publics s'y attachant. Dans le projet du Bréau, les activités ainsi ciblées sont la chirurgie (le bloc opératoire sera privé), la biologie et l'imagerie médicale - services stratégiques pour un hôpital. Au nom de cette prétendue mutualisation, les GCS favorisent l'implantation de cabinets privés en ville et réduisent l'espace de travail et d'évolution des équipes du public.
2.2.3 Réduire les compétences du secteur public.
Ces dernières années, l'hôpital de Fontainebleau a déjà abandonné l’ORL et la chirurgie urologique. Le projet actuel prévoit l’abandon de l’ophtalmologie au profit de la clinique et veut externaliser le service de stérilisation.
Cet amoindrissement volontaire de l'offre des services de soin dans le secteur public favorise le secteur marchand car les patients sont contraints de se tourner vers un service dans le secteur libéral.
La faible valorisation des postes et la raréfaction du nombre de diplômés dans certaines spécialités fragilisent l'hôpital public, car nombre de médecins vont alors chercher dans le secteur libéral des conditions de travail et de rémunération meilleures que dans le secteur hospitalier.
2.3 Ses outils juridiques.
Au niveau international, l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est chargée de mettre en œuvre l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS). Il s'agit d'un programme à l'échelle internationale visant le démantèlement des services publics en faveur des entreprises privées.
Au niveau européen, l'Union européenne utilise le traité de Maastricht et le traité de Lisbonne pour instaurer la « libre circulation des services ». La Directive Services vise à privatiser tous les services publics, secteur par secteur (santé, énergie, éducation, transport etc.).
Au niveau national la loi HPST et les « plans hôpital » (2009, 2012 et 2015) ne sont que la déclinaison pour le secteur hospitalier d'une loi plus vaste portant le nom de « Révision Générale des Politiques Publiques » (RGPP). Cette loi n'est elle-même qu'une déclinaison de la Directive Services européenne au niveau national. Il est prévu que le projet du Bréau s'inscrive très prochainement dans le cadre du plan « hôpital ».
Au niveau local, l'Agence Régionale de la Santé (ARS) est chargée de la mise en œuvre de ces lois et directives : elle favorise le développement de structures « publiques-privées ». Des élus locaux collaborent activement à cette politique ; c'est le cas du Maire de Fontainebleau dans le projet du Bréau.
2.4 Ses conséquences.
Le projet du Bréau porte atteinte aux trois principes du service public, étant donné :
- une baisse de l'accessibilité du service public par la raréfaction de l'offre de soin;
- une dislocation de la mission de socialisation par l'émergence de fait d'une médecine à plusieurs vitesses ;
- une fragilisation du statut du personnel par sa mise en concurrence avec celui du personnel du secteur privé alors que les missions du secteur public sont plus contraignantes. Le transfert d'activités du public vers le privé conduira à la suppression de postes dans l'hôpital. S'y ajouteront des suppressions de postes liées à la baisse du financement de l'hôpital auquel la tarification à l'acte conduit. Ces suppressions de poste dégraderont les conditions d'accueil des patients et les conditions de travail des personnels. Signe qui ne trompe pas : le projet actuel ne dit rien de l'avenir de l’Institut de Formation de Soins Infirmiers et des Aides-soignantes qui existe actuellement à l'hôpital de Fontainebleau. Aucune concertation n'a été engagée avec les responsables régionaux.
3 Quel service public hospitalier en France ? Quel projet pour Fontainebleau et sa région ?
3.1 Principes généraux.
Nous refusons « l’hôpital-entreprise» qui se profile. Nous exigeons :
- le maintien et le développement d'un hôpital public de qualité garant des principes fondateurs de notre République ;
- un égal accès aux soins pour tous permettant de s'affranchir des dépassements d'honoraires pratiqués dans le privé ;
- un hôpital public offrant l'ensemble des services de soins pour répondre aux besoins de la population ;
- que l’hôpital public bénéficie pleinement des subventions publiques. Nous nous opposons à une utilisation de argent public en direction du secteur marchand ;
- un hôpital public indépendant de toute structure privée. Sa mission de cohésion sociale doit se faire en accord avec les usagers et ses partenaires publics et ne doit pas être lié à une structure privée.
3.2 Propositions et exigences pour l'avenir de l'hôpital de Fontainebleau et de sa région.
3.2.1 Aspects médicaux.
Un véritable projet de développement de l'hôpital public de Fontainebleau et de sa région doit permettre à l'ensemble de la population, sans discrimination, d'accéder à l'ensemble des soins. Nous exigeons :
- le maintien de la chirurgie publique sur les secteurs traumatologie, orthopédie, viscéral et digestif, afin de leur permettre de fonctionner 24H/24 et 7 jours/7, s'appuyant sur un bloc opératoire public autonome ;
- le nécessaire retour de la chirurgie urologique et son développement ;
- le maintien du service de stérilisation à l'hôpital et non son externalisation comme cela est prévu dans l'actuel projet ;
- la préservation et le renforcement du service d'ophtalmologie publique par le recrutement de praticiens hospitaliers ;
- le développement de l'ORL en consultation et activité chirurgicale ;
- le développement des services de biologie et d’imagerie médicale indispensables pour un hôpital et les usagers externes et la suppression des implantations libérales inutiles et coûteuses ;
- l'intégration pleine et entière de l'hôpital de Nemours au futur projet hospitalier.
Ces différentes mesures préserveront les emplois publics appelés à disparaître dans le projet actuel.
3.2.2 Aspects financiers.
Nous exigeons que les 22,5 millions d’euros attribués par l'État à la clinique dans le projet soient attribués au développement de l’hôpital.
La Communauté de Communes a cédé à l’euro symbolique le terrain du Bréau qu’elle avait acquis pour un montant de 3,5 millions d’euros. Nous exigeons la rétrocession. A moins d'être revendu pour une somme au moins équivalente, l'utilisation de ce terrain doit être réservée à un usage public.
3.2.3 Aspects politiques.
Le projet du Bréau répond à la logique de marchandisation inscrite dans Directive Services dictée aux peuples par l'Union européenne et dont le plan « hôpital 2012 » n'est qu'une déclinaison au plan national. Cette politique antisociale ampute la puissance publique nationale au profit des grands groupes financiers internationaux.
Le peuple français s'est prononcé contre cette politique en 2005, par référendum, en votant NON au projet de Traité Constitutionnel Européen qui contenait cette directive (alors appelée « directive Bolkestein »). Au mépris de la démocratie, ce traité lui a finalement été imposé sous le nom de « traité de Lisbonne ».
En promouvant l'actuel projet du Bréau, les élus locaux et nationaux contribuent donc de fait à cette confiscation de la démocratie. En tentant de l'imposer sans débat public, sans concertation avec la population, sans calendrier connu, ils démontrent qu'ils s'inscrivent pleinement dans cette dynamique inacceptable.
Par conséquent, nous appelons à la suspension du projet de plateforme publique-privée au Bréau. Nous demandons un moratoire pour redéfinir une véritable politique de service public de la santé dans l'intérêt de la population et avec elle.
[22 juin 2011]